Célébration œcuménique

Lors de la Célébration oecuménique du Dimanche 22 janvier,  le Pasteur Agnés Lefranc de l'Eglise Réformée de France à Orléans a prononcé cette prédication lors de la Veillée à Saint-Pierre du Martroi

        La réconciliation. Voilà le mot qui revient dans ce passage de la seconde épître de Paul aux Corinthiens, trois fois le verbe, deux fois le substantif. La réconciliation, comme un travail de Dieu en nous, comme un appel impérieux à poursuivre, à notre tour, ce travail. Bien choisi pour cette semaine de prière 2017… et si cette année, celle du 500ème anniversaire de la Réforme, était aussi celle de notre réconciliation ? Vous n’y croyez pas ? Le pape François a pourtant fait un pas de géant en s’invitant à la célébration qui a marqué, à Lund, en Suède, l’entrée dans cette année peu ordinaire…

 « Catholiques et Luthériens, nous avons commencé à marcher ensemble sur un chemin de réconciliation », a-t-il rappelé dans son homélie.  « À présent, dans le contexte de la commémoration commune de la Réforme de 1517 », a-t-il poursuivi, « nous avons une opportunité nouvelle pour prendre un chemin commun. Nous avons l’occasion de réparer un moment crucial de notre histoire, en surmontant les controverses et les malentendus qui souvent nous ont empêchés de nous comprendre les uns les autres ».
        Ce mot de « réconciliation » n’est pourtant pas celui qui revient le plus souvent sous la plume de Paul. Il lui préfère en général le vocabulaire de la « justification ». Mais c’est probablement à dessein que pour la tumultueuse communauté de Corinthe il choisit ce mot plutôt qu’un autre. « Les gens de Chloé m’ont appris qu’il y a des discordes parmi vous », écrit-il dès le premier chapitre de la première épître aux chrétiens de Corinthe. Certains s’y réclament de Paul, poursuit l’apôtre, d’autres d’Apollos, d’autre de Céphas, d’autres encore du Christ… La communauté est en danger, l’éclatement menace, et Paul, qui se présente comme le père de ces chrétiens qu’il a enfantés à la foi, ne ménage pas sa peine pour ramener l’unité. La réconciliation n’est donc pas un vain mot, c’est vraiment de cela que les Corinthiens ont besoin.

        Mais qu’entend-il par-là ? Nous croyons le savoir… La réconciliation, c’est le rabibochage entre deux personnes, ou entre une personne et Dieu. Est-ce vraiment cela ? Creusons un peu plus, et laissons-nous enseigner.

        D’abord, premier point, pour les Corinthiens, le terme n’est pas anodin. Il rappelle en effet un évènement historique qui a marqué la ville. Rasée en 146 avant notre ère par un certain Mummius qui voulait mater les velléités de révolte contre l’Empire, Corinthe est en effet reconstruite par César en 44 avant notre ère. A cette occasion, celui-ci proclame une « réconciliation » : à Corinthe seront accueillies toutes les personnes qui, dans l’Empire, ont un passé compromis, et elles bénéficieront d’une amnistie. C’est une manière comme une autre de repeupler la ville, et cet évènement fondateur est dans toutes les mémoires.
        Ensuite, explique Paul, la réconciliation n’est pas une décision, une bonne intention des uns ou des autres ; non, elle est une conséquence de la nouvelle création. Car en Jésus, mort et ressuscité, c’est véritablement un monde nouveau qui est advenu. Il y a là une idée qui ne nous est pas familière ; nous attendons plutôt le renouvellement de toutes choses dans l’avenir. « J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir », proclamons-nous dans le symbole de Nicée. Mais Paul est formel, nous sommes morts avec le Christ, et avec lui, nous vivons dès maintenant de la vie du Ressuscité : « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature ». La réconciliation est un fruit de cette vie nouvelle, elle reflète cette « identité eschatologique » que nous recevons en Christ.
        Une autre piste pour mieux comprendre le sens de cette réconciliation à laquelle nous sommes appelés, c’est le sens du mot que Paul utilise en grec, katalasso, un mot bâti sur la racine « allos », qui veut dire « autre ». Se réconcilier, c’est devenir un autre, c’est changer de regard. On espère souvent, dans des relations difficiles, que l’autre finisse par changer ; la réconciliation, c’est tout l’inverse. C’est pour cela qu’elle ne relève ni de la facilité, ni de l’évidence. Pour devenir un autre, il faut l’intervention d’un autre ou d’un Autre. Luther le souligne quelque part avec force : « Dieu veut nous sauver, non par une justice et une sagesse propres, mais par une justice et une sagesse qui viennent du dehors, non par une justice créée par nos propres ressources, mais par une justice qui vient d’ailleurs en nous, qui n’est pas d’origine terrestre, mais divine ».
        En ce sens, le travail qu’a accompli depuis plusieurs décennies le groupe des Dombes me semble exemplaire. A la fin de chacun des documents qu’il propose à notre réflexion, il trace des pistes « pour la conversion des Églises », interpellant protestants et catholiques, les exhortant à se laisser mettre en question par la vie et la pratique des autres confessions chrétiennes. Comme le dit très justement le théologien vaudois Paolo Ricca : « Seul un nouveau protestant se réconciliera avec les catholiques, et seul un nouveau catholique se réconciliera avec les protestants ». Le document « Du conflit à la communion », rédigé par une commission luthéro-catholique pour préparer la commémoration commune du 500ème anniversaire de la Réforme, le dit aussi : « Luthériens et catholiques doivent continuellement se laisser transformer par la rencontre de l’autre, et par un témoignage de foi des uns à l’égard des autres ».
        Enfin, dernier point, de cette réconciliation, nous sommes les ambassadeurs pour notre monde. Dans l’Antiquité, l’ambassadeur était mandaté par l’Empereur pour une mission spéciale, et tout le monde savait qu’il représentait celui qui l’envoyait, et qu’il exerçait l’autorité en son nom. Notre monde a un besoin criant de réconciliation, il se déchire et nombreux sont ceux qui voudraient nous dresser les uns contre les autres. Mais comment serons-nous ces ambassadeurs si nos Églises elles-mêmes ne sont pas réconciliées, si elles ne portent pas le témoignage d’une diversité qui n’est pas une menace, mais une richesse ?

        Alors, chiche… réconcilions-nous ! Ou plutôt, puisque nous savons que la réconciliation ne sera pas le fruit de nos efforts, mais l’œuvre de Dieu lui-même, laissons-nous réconcilier avec Dieu, et les uns avec les autres. Puis-je, comme Paul le fait dans sa lettre, vous supplier au nom du Christ ? Oui, j’ose le faire, confiante que le Seigneur, en cette année 2017, va nous conduire par son Esprit !

Amen

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